La quête aporique du milliard a causé la perte de la Ligue 1. Le crash Mediapro, associé à la pandémie du Covid, a plongé les clubs dans une situation inédite. L'élection et la réélection de Vincent Labrune, le contrat improbable avec CVC, la fin des relations avec Canal + : la chute est sans fond et la fin annoncée du deal mal né avec DAZN place la LFP dans une configuration qui aurait dû être anticipée depuis plus de 10 ans.
Entre être la cinquième roue du carosse des principaux championnats ou être leader d'un deuxième peloton, les dirigeants des clubs français, sans doute aveuglés par une pincée d'orgueil, ont choisi la réponse A, contre toute logique sportive. Cette poursuite de la compétitivité avec des ligues qui, elles, ne souffrent pas d'un retard culturel irrémédiable qui explique le nivellement de la valeur économique, a maintenu le football professionnel français dans une forme de léthargie mortifère.
À présent, la solution la plus évidente est de monter une plateforme dédiée à la Ligue 1. Mais comment pourrait-elle s'articuler pour attirer du public ? Cette interrogation est d'autant plus cruciale que Canal+ a renoncé à distribuer la chaîne.
DAZN a rencontré plusieurs difficultés, notamment en ce qui concerne la production des matches et l'ergonomie de son application. Plus surprenant, les gros clubs ont renâclé au moment de proposer des joueurs en interview. Difficile de valoriser un produit sans joueurs majeurs diront certains, difficile de privilégier le diffuseur au détriment de ses propres réseaux sociaux avec aussi peu d'argent à la clef diront d'autres. Quoi qu'il en soit, tout le monde a perdu.
Comment améliorer le produit ? Quand on n'a pas d'argent, ou presque plus, il faut trouver des synergies. Comment faire pour que les supporters capables de payer leur obole y trouvent leur compte ?
Le prix... mais pour quels contenus ?
Nouvellement arrivé à la tête de la LFP Media, Nicolas de Tavernost a annoncé que le prix mensuel serait au maximum de 19,99€, hors potentielle offre étudiant. Finalement, il s'agirait d'un abonnement à 14,99€ par mois (avec engagement) ou 10€ pour les moins de 26 ans. Il y aura 8 matches sur 9 en 2025-2026, dans la mesure où BeIN Sports conservera pendant encore une saison son match, programmé généralement le samedi après-midi. Pas idéal, pour ne pas dire carrément contre-productif car l'homogénéité d'une offre est plus facile à vendre qu'une offre éclatée, ne serait-ce que pour la couverture éditoriale. Selon plusieurs spécialistes, le prix adéquat se situerait entre 10 et 15€. Et encore, car il faudra ajouter le prix de l'abonnement à BeIN.
Au-delà du prix global, la question est en réalité de savoir s'il peut exister une offre basique qui peut être couplée à d'autres propositions pour augmenter le panier moyen de l'abonné mais aussi sa fidélité au produit. Les modes de consommation ont évolué, les propositions doivent suivre et ne pas se contenter du minimum. Dos au mur, la France doit être force de proposition et d'innovation, même si le temps presse pour viabiliser les coûts de production.
Comment agira la LFP Media, surtout depuis le retrait de Canal+ ?

Valoriser le supporter qui (s')investit
En premier lieu, une souscription liée au football doit impérativement prendre en compte une donnée essentielle : l'abonné au stade. Le public fait partie des actifs d'un club et même de tout le championnat. Plus le stade est plein, plus il y a d'ambiance, plus les sponsors sont intéressés pour investir, plus les joueurs sont valorisés. Le meilleur exemple en l'espèce est l'Olympique de Marseille : avec un seul titre de champion lors des 30 dernières anneés, c'est le Vélodrome qui a maintenu la ferveur et la capacité d'attraction du club davantage que les effectifs qui se sont succédé.
Un abonné est une personne qui investit et se déplace pour voir son équipe lors de 17 journées. Il ne peut pas payer pour 34 matches de son club.
Par ailleurs, le prix doit aussi être corrélé à l'achat de merchandising. En effet, car le prix d'un maillot de football suit une courbe illogique. En temps normal, c'est le sponsor qui doit payer pour être visible; or dans ce cas de figure, le prix est majoré à destination de l'acheteur qui porte plusieurs marques qui ne le rémunèrent pas. Le monde à l'envers. Une réduction proportionnelle aux dépenses réalisées sur des produits officiels doit s'opérer. Tout doit encourager à aller (ou retourner) vers le produit légal avec des mesures incitatives.
Ainsi, outre une offre étudiant ou pour les moins de 26 ans, une offre réservée aux seniors doit être envisagée. Par ailleurs, un abonnement doit correspondre a minima à une seule adresse IP et un flux smartphone. Pour un autre flux smartphone hors adresse IP, le coût peut être majoré mais pas de 100%.
Une offre de base à customiser
Partons d'un postulat simple : qui a le temps pour regarder l'intégralité des matches ? La Ligue 1, c'est 9 matches par journées répartis sur 7 créneaux horaires, pas forcément bien répartis puisque les coups d'envoi ont évolué en cours de saison en raison de la longueur des arrêts de jeu.
En somme : l'abonné surpaie. Pire : il y est obligé. Dès lors, la nouvelle plate-forme doit prendre en considération les demandes des utilisateurs et non pas imposer aveuglément une seule formule.
Un abonnement de base amélioré
Certes, il y a des fans "alpha", capables d'ingurgiter une quantité astronomique de football en un weekend, mais cela ne concerne pas uniquement la Ligue 1. Pour autant, payer un abonnement pour l'intégralité du catalogue de matches est le choix numéro 1. Cette catégorie est essentielle pour amorcer la pompe mais elle n'a pas besoin d'être sollicitée : quoi qu'il arrive, elle prendra son abonnement. Mais, on l'a vu avec DAZN, cette frange concerne environ 300-350.000 personnes. En son temps, Prime Vidéo avait franchi le million d'abonnés, avant de chuter. C'est la preuve que, même à 12.99€ par mois, ce n'était pas un abonnement essentiel pour les ménages. Néanmoins, cela démontre qu'il y a entre 500 et 800.000 abonnés à reconquérir (supporters de Ligue 2 inclus), puisqu'en fin de saison, DAZN a atteint les 500.000 abonnés (mais avec des tarifs sérieusement rabotés et sans prendre en considération ceux qui se sont abonnés d'emblée avec un engagement de 12 mois).
L'abonnement de base doit comprendre des composantes "de série" : multi-canaux audios (outre les commentateurs de la chaîne, accès aux antennes locales d'Ici, aux radios des clubs, à des radios privées comme RMC ou des applis comme Flashscore Audio, ou uniquement le son d'ambiance avec soit le son des supporters locaux soit celui du parcage), multi-canaux vidéo (l'abonné choisit la réalisation officielle ou des angles de vue à la carte), statistiques en temps réel (Opta, Stats Perform, Sofascore, Flashscore Ratings par exemple), participation à Mon Petit Gazon (qui appartient à la LFP Media) avec des récompenses d'envergure.
Un contenu additionnel en partenariat avec les clubs
Pas de football sans supporters. L'accès à votre club favori doit être une priorité. Ainsi, en souscrivant un abonnement complet, un pass pour un contenu "club" doit être proposé. Le tarif est majoré pour un deuxième pass de ce style. Un abonnement "club" donnerait accès au contenu uniquement consacré à une équipe. Cela doit comprendre les matches de la réserve, des équipes de jeunes garçons et filles, de la Coupe Gambardella, des conférences de presse, des contenus promotionnels en exclusivité, y compris pour les transferts, voire les pages sports de la Presse Quotidienne Régionale.
De plus, l'achat de merchandising doit ouvrir un accès gratuit d'un mois à cet abonnement. Dans le même temps, l'achat d'un abonnement club ouvre une remise sur l'achat de merchandising.
Un abonnement "10 meilleures affiches"
Pour les potentiels clients seulement intéressés par les chocs, un abonnement consacré aux 10 meilleures affiches doit être disponible. Cela répond d'une part à une catégorie de personnes moins passionnées mais qui pourrait, grâce au rendu, prendre à l'avenir un abonnement plus fourni, y compris en cours de saison. Cela peut constituer un produit d'appel, qui doit atteindre un prix suffisamment haut tout en permettant de diminuer la part de spectateurs passés par un canal illégal, comme ce fut le cas pour les OM-PSG en 2024-2025. La victoire du PSG en Ligue des Champions attirera sans doute de nouveaux "fans" mais qui se contentent amplement des gros matches du championnat en plus de la C1.
Un abonnement liés aux résumés des matches
Un abonnement highlights doit être proposé. Outre les buts en quasi-direct disponibles sans géolocalisation sur les réseaux sociaux, les nouveaux usages de consommation du football imposent une couverture alternative des rencontres, avec la possibilité d'obtenir des résumés élargis plus consistants que les vidéos postées sur le compte Youtube du championnat (15, 30, 45 minutes avec différentes options audio). Cela faciliterait la propagation d'images du championnat et permettrait aux clients de voir plus de matches, même en formats réduits.
Un magazine créatif et exhaustif
Enfin, la plateforme doit se doter d'un magazine de qualité en accès libre, dans le ton de ce que peuvent proposer Match of the Week en Angleterre ou El Día Después en Espagne. C'est toujours la quadrature du cercle : contenter la base de supporters connaisseurs ainsi que le grand public. Cela passera nécessairement par l'embauche de journalistes passionnés plus que par celle de consultants, modèle qui n'est pas viable et qui grève les budgets avec une plus-value limitée.
Cette V1 de la plate-forme doit pêcher large et déjà envisager l'arrivée de contenus additionnels qui élargiront sa base : le fameux 9e match de L1 et la L2 quand les contrats avec BeIN Sports arriveront à leurs termes, la L3 professionnelle et la Première Ligue féminine quand le contrat avec Canal+ arrivera à son terme.
    