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Ben Shelton, seul espoir pour interrompre la quiétude du duo Alcaraz-Sinner ?

Ben Shelton en troisième homme ?
Ben Shelton en troisième homme ?ANGELA WEISS AFP
Sur les deux dernières saisons, Carlos Alcaraz et Jannik Sinner se sont partagé les titres en Grand Chelem. Un duo qui écrase le reste du circuit ATP, mais comme dans l'ère du Big Three, le tennis a besoin d'un troisième homme, et on ne voit personne d'autre que Ben Shelton.

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Pendant 20 ans, et même plus, le circuit ATP a vécu au rythme du Big Three Roger Federer - Rafael Nadal - Novak Djokovic. "Rodge" le Nice Guy, "Rafa" le combattant et "Nole" le vilain qui deviendra le Roi. 66 titres du Grand Chelem, une quantité de records absolument incroyables, mais la page est doucement en train de se tourner : pour la première fois depuis 2002, aucune de ces trois légendes n'a atteint une finale de Majeur cette saison.

Et pour cause : les deux nouveaux rois du tennis masculin ont tout raflé. Jannik Sinner a atteint les quatre finales majeures cette année, contre "seulement" trois pour Carlos Alcaraz (Alexander Zverev se faufilant en Australie). Comme l'an dernier, les deux cadors se sont équitablement partagé les titres en Grand Chelem, mais la domination a atteint un nouveau stade cette saison 

Impérial, l'Espagnol n'aura lâché qu'un set durant tout l'US Open... contre son rival en finale. Ce qui était également le cas pour l'Italien lors de son sacre à Wimbledon. Une domination sans partage du duo infernal qui ne laisse que des miettes à la concurrence.

Intouchables...

Si en début de saison, entre la méforme d'Alcaraz et la suspension de Sinner (après avoir quand même remporté l'Open d'Australie), les outsiders ont pu se gargariser sur le ciment américain, depuis le début de la tournée sur terre battue, deux tournois de haut standing (Grand Chelem + Masters 1000) ont échappé au duo : les Masters 1000 de Madrid et de Toronto... dans lequel aucun des deux n'étaient engagés ! Dans cette période, hormis dans leurs duels, seul Holger Rune a battu Alcaraz en finale à Barcelone (l'Espagnol étant de surcroît diminué physiquement, ce qui l'avait contraint à déclarer forfait à Madrid). Quant à Sinner, il n'a plié que contre Alexander Bublik à Halle, quand il était encore en train de digérer son échec en finale de Roland-Garros. 

Et c'est bien là que le bât blesse. Le Big Three est devenu légendaire parce qu'il comprenait trois joueurs sensiblement du même niveau, qui ontfinalement  chacun remporté a minima 20 titres en Grand Chelem. Mais il laissait aussi du suspense. Qui peut battre Federer sur gazon ? Qui va faire tomber Nadal sur terre battue ? Qui réussira à vaincre Djokovic sur dur (et plus tard sur gazon) ? Tant de questions qui ont rythmé les 20 dernières années.

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Avec seulement deux joueurs, le suspense est maigre. Au départ de cet US Open, on n'imaginait absolument pas une autre finale que celle qui a eu lieu. Personne, pas même Djokovic (clairement au crépuscule de sa carrière tout en étant encore incroyablement fort) ne semblait avoir les épaules assez larges pour venir éviter l'inévitable. Et c'est une question que l'on se posera désormais à chaque Grand Chelem et à chaque Masters 1000 : qui peut devenir le troisième homme pour former un nouveau Big Three ?

Incontestablement, ce ne sera pas Zverev. L'Allemand a été dominé en finale de Grand Chelem par chacun des deux cadors et sa régularité semble l'avoir abandonné en cette fin d'une saison clairement décevante. Cette fameuse NextGen semble avoir laissé passer sa chance, un sujet maintes fois évoqué, mais une réalité validée par les chiffres. On ne parlera pas encore de déclin pour l'Allemand, mais c'est une réalité pour Daniil Medvedev par exemple. Et pourtant, le Russe est le seul vainqueur de Grand Chelem à ne pas s'appeler Djokovic, Nadal, Alcaraz ou Sinner sur les cinq dernières saisons ! 

Shelton à maturité

Pourtant, beaucoup ont eu leur chance dans une quête de Grand Chelem dans cet intervalle. Casper Ruud (3), Zverev (2), Stéfanos Tsitsipás (2), Matteo Berrettini, Taylor Fritz ont au moins disputé une finale de Grand Chelem depuis 2021... Tous ont perdu. Ce n'est sans doute pas dans cette liste qu'on trouvera un troisième homme, d'autant qu'aucun de ces joueurs n'a réussi à se maintenir réellement au plus haut niveau (seuls Zverev et Fritz sont encore dans le Top 10). À dire vrai, on ne voit qu'un seul joueur capable de tenir ce rôle : Ben Shelton

Un jugement qui peut paraître assez osé. En effet, l'Américain a été éliminé au troisième tour de l'US Open, contraint à l'abandon par une épaule récalcitrante face à Adrian Mannarino. Mais ce résultat anodin - et son tout premier abandon en carrière - cache une réalité bien plus intéressante : hormis Sinner, Alcaraz et Djokovic, il est le seul à avoir atteint le troisième tour de tous les tournois du Grand Chelem cette saison. Une régularité nécessaire. 

Une carrière sur les bons rails.
Une carrière sur les bons rails.AFP / EnetPulse

En foi de quoi, et malgré cette contre-performance chez lui, il est désormais n°6 mondial. D'ici peu, il s'en ira à la conquête de la place de n°1 américain, puisqu'il compte moins de 400 points de retard sur Fritz. Mais surtout, alors qu'il est à l'aube de ses 23 ans, il semble avoir une marge de progression incroyable, alors qu'il n'est confronté au haut niveau que depuis trois ans et sa première participation à un tableau principal en Grand Chelem à l'US Open 2022. 

Quatre mois plus tard, il était quart de finaliste de l'Open d'Australie. Un an plus tard, il était demi-finaliste de l'US Open. Le tout avec un jeu encore fruste, non poli, uniquement fondé sur la puissance aveugle et un service terrifiant. Depuis, il a attaqué la transformation de son jeu, ce qui a laissé penser qu'il stagnait la saison passée. Mais en 2025, il a été incontestablement un des hommes de la saison. 

C'est bien simple, sur les trois premiers tournois du Grand Chelem de la saison, il a fallu Sinner ou Alcaraz pour le stopper. Et cela aurait normalement dû être le cas à l'US Open, où le rendez-vous était déjà pris en quarts avec l'Espagnol. Mais ce n'est pas tout, puisqu'il a notamment franchi un cap important en remportant son plus grand titre en carrière au Masters 1000 canadien, en dominant au passage Alex de Minaur, Fritz et Karen Khachanov - tous Top 10 à l'heure actuelle. 

Le jeu et le talent

Bien sûr, le Big Three ancien et le Big Two actuel ont fixé des standards tellement élevés que ces performances semblent tout sauf impressionnantes. Le fait est que Shelton a atteint deux demi-finales lors de ses dix premiers tournois en Grand Chelem, sans aucun antécédent sur le circuit junior, avec "seulement" trois titres Challenger avant de débarquer sur le circuit ATP. Une comète, qu'on le veuille ou non. 

Mais surtout, dans une époque dévolue aux highlights et aux coups fantastiques, l'Américain a un jeu spectaculaire et clairement vendeur pour un circuit ATP jamais avare de nouveaux fans. Des premières balles à plus de 230 km/h, des coups de fusil en coup droit, un jeu résolument offensif, une belle aptitude à la volée, et bien entendu, une propension énorme à faire le show, peu importe l'adversaire, peu importe le match. Et comme pour beaucoup de joueurs, conserver une balance coups gagnants / fautes directes positive est une des clefs de son jeu.

Ainsi, cela a débouché sur un des matchs les plus spectaculaires de l'année : son huitième de finale contre Alcaraz à Roland-Garros. Des coups droits gagnants en pagaille, de l'envie et de la détermination, l'attaque presque constante, le tout sur une surface, la terre battue, clairement pas adaptée pour son jeu, lui qui est un joueur clairement typé ciment. Et qu'aurait-il pu se passer s'il avait converti une des trois balles de premier set qu'il a eu à sa disposition... 

Bref, on l'a compris, Shelton est le genre de joueurs pour qui on payerait sa place. Cela n'en fait pas un rival d'Alcaraz et Sinner. Et de facto, il ne l'est pas encore, ne comptant qu'une seule victoire en carrière sur l'Italien (en sept confrontations) et aucune sur l'Espagnol (en deux affrontements, on laissera de côté la Laver Cup). Mais en termes de potentiel, de talent brut, et surtout de marge de progression, on ne voit personne d'autre que lui pour troubler la domination des deux cadors du circuit ATP. Car en prime, c'est un joueur qui adore les grandes scènes, qui a atteint la deuxième semaine six fois en 13 tournois du Grand Chelem, et qui est passé en quatre ans de la 568e à la 6e place mondiale. Que demander de plus ? 

Un nouveau Big Three ?

En prime, il est Américain, et pour le circuit ATP, cela ne peut qu'être bénéfique d'avoir une future star en provenance d'un pays qui détient un grand nombre de tournois d'importance. La domination du Big Three était implacable, mais elle était surtout européenne. Les États-Unis attendent un sacre en Grand Chelem depuis celui d'Andy Roddick à l'US Open... 2003 et un nouveau champion américain pourrait ramener un intérêt supérieur d'un des plus importants marchés du monde. 

Mais bien évidemment, les dernières étapes sont les plus dures à franchir. Battre les deux ténors du circuit ATP maintenant qu'ils sont à leur apogée. Voilà qui s'annonce compliqué, mais comme mentionné plus haut, il a déjà dominé une fois Sinner. C'était en octobre 2023, au Masters 1000 de Shanghai.

Certes, l'Italien n'était pas l'implacable machine qu'il est devenu depuis. Certes, il n'avait pas encore de Grand Chelem au compteur. Et certes, depuis, il a remporté les six confrontations directes. Mais le fait est qu'il était déjà Top 5, déjà demi-finaliste en Grand Chelem, déjà vainqueur en Masters 1000, et que ce jour-là, il n'était pas le plus fort. Mieux, s'imposer 2-6, 6-3, 7-6 (5) après une fin de match au couteau montre une sacrée résilience et une belle aptitude dans la gestion des moments chauds, une qualité indispensable pour atteindre les cimes du tennis mondial. 

C'est un pari : Shelton sera, à la même époque l'année prochaine, le principal rempart à la domination du duo Sinner - Alcaraz. Un duo ne suffit pas pour écrire la légende. Sur les trois dernières saisons, chacun des deux compte une seule réelle sortie de route en Grand Chelem, sous la forme d'une élimination au 2e tour (contre Daniel Altmaier à Roland-Garros 2023 pour l'Italien, face à Botic van de Zandschulp à l'US Open 2024 pour l'Espagnol). Et même cette saison, seul Alcaraz a une défaite "embarrassante" contre David Goffin à Miami. 

Cette régularité incarnée donne les huit titres en Grand Chelem et sept trophées en Masters 1000 sur les deux dernières saisons. Il faut un vrai rival, un troisième homme, comme Djokovic l'a été pour contrer l'archi-domination de Federer et Nadal, qui avaient remporté les 11 tournois du Grand Chelem précédents au moment où "Nole" a décroché son premier à l'Open d'Australie 2008.

Alcaraz et Sinner ont donc remporté les 8 derniers tournois du Grand Chelem, se sont affrontés en finale des trois derniers, et tous les signes, en termes de statistiques, de niveau de jeu, de palmarès, démontrent que l'on est partis pour une période d'hyper-domination du duo infernal. Puisse ce Big Two se transformer en Big Three pour l'intérêt supérieur du tennis, et pourquoi pas dès l'Open d'Australie. Une mission pour Shelton ?