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Beaucoup d'ambition et pas mal de doutes pour la candidature aux JO 2036 de l'Inde

Des Indiens à un match de cricket.
Des Indiens à un match de cricket.INDRANIL MUKHERJEE/AFP
L'Inde rêve d'accueillir les Jeux olympiques de 2036 pour affirmer au monde son statut de grande puissance, mais la pertinence de sa candidature interroge dans un pays dont, hormis le sacro-saint cricket, la culture sportive reste limitée.

"L'Inde ne reculera devant aucun effort pour accueillir les Jeux de 2036". Lorsque Narendra Modi a confirmé il y a un an "le rêve et l'aspiration" olympique du pays le plus peuplé du monde, sa détermination n'a surpris personne.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le Premier ministre ultranationaliste hindou n'a de cesse de jouer des coudes pour imposer son pays au rang des Grands de la planète. Notamment face à la Chine rivale, déjà deux fois hôte des JO.

Dans sa lettre d'intention adressée en octobre au Comité international olympique (CIO), le comité indien (IOA) a détaillé deux arguments.

"L'importance croissante (du pays) sur la scène mondiale" et son statut de "seule économie majeure à n'avoir pas encore accueilli les Jeux", selon des extraits diffusés dans la presse locale.

"D'une certaine façon, les Jeux consacreraient la place de l'Inde sur la scène mondiale", résume l'analyste politique Ronojoy Sen, auteur du livre "Une histoire du sport en Inde".

Le patron du CIO Thomas Bach n'a pas été insensible à une candidature du pays le plus peuplé de la planète. "Il y a un grand potentiel (...) l'esprit olympique s'éveille et grandit en Inde", a-t-il souligné en 2023 à Bombay.

Mais, si elle mange à la table des grandes puissances, l'Inde reste encore un nain sportif.

JO sans lendemain

Hormis le cricket hérité de l'Empire britannique, confidentiel à l'échelle planétaire, elle ne joue les premiers rôles dans aucune discipline si ce n'est au javelot avec son champion Neeraj Chopra, médaille d'or olympique (2021) et du monde (2023). Mais Chopra est reparti des derniers JO à Paris avec l'argent et son pays sans aucun titre.

L'expérience l'a montré, les Jeux peuvent être l'occasion d'un formidable coup d'accélérateur au développement du sport dans le pays organisateur.

Mais l'ex-joueur de tennis Manisha Malhotra doute qu'il puisse en être de même pour son pays.

"L'argent inondera l'élite des athlètes et les médaillables de 2036, mais ça s'arrêtera sûrement là", anticipe le président de l'Inspire Institute of Sport, un centre d'entraînement privé.

L'Inde n'a pas encore officiellement donné le nom de la ville-candidate de son choix. Mais il fait peu de doute que l'honneur échappe à Ahmedabad, la capitale de l'Etat du Gujarat (nord-ouest).

La ville, berceau politique de Narendra Modi, dispose d'un atout de taille : un stade géant de 130 000 places qui a accueilli la coupe du monde de cricket en 2023.

Ahmedabad héberge aussi le quartier général du conglomérat de Gautam Adani, multimilliardaire et ami du Premier ministre.

Principal parrain de l'équipe indienne à Paris 2024, le magnat de l'énergie a été inculpé mercredi par la justice américaine dans une affaire de corruption.

Déjà dans les starting-blocks, l'Etat a créé une entreprise dont la raison sociale ne laisse guère de place au doute : la Gujarat Olympic Planning and Infrastructure Corporation Ltd.

Généreusement dotée d'un budget de 710 millions de dollars (675 M euros), elle a pour objet de développer stades et autres salles de sport.

Mais, met déjà en garde la journaliste sportive chevronnée Sharda Ugra, la construction "d'enceintes sportives géantes" pour les Jeux risque fort de s'avérer ruineuse et sans grand effet sur la promotion à long terme du sport.

"Pas viable" 

Le triste palmarès sportif de l'Inde, note-t-elle, n'est pas dû à un manque d'infrastructures.

"Il a pour origine la structure de gouvernance du sport, des fédérations et la rareté des événements", détaille-t-elle. "Alors serait-il viable de construire des grands stades juste pour recevoir les Jeux ? La réponse est catégoriquement non".

L'IOA est tiraillée entre deux factions qui s'en disputent le contrôle. Son président, l'ex-sprinter P.T. Usha, a reconnu que la candidature indienne y suscitait déjà des "défis internes".

Certains rappellent aussi que l'organisation en Inde de plusieurs grands rendez-vous sportifs récents n'a pas toujours laissé un souvenir impérissable.

En 2010, les Jeux du Commonwealth Games (CWG) de New Delhi ont connu leur lot de retards et de ratés dans la construction ou la finition des infrastructures, de soupçons de mauvaise gestion voire de franche corruption.

Quinze ans après, plusieurs enceintes construites pour ces Jeux sont en piteux état.

"L'Inde va devoir effacer sa pauvre réputation en matière de ponctualité et de propreté", a rajouté un éditorial du quotidien Indian Express.

Mais rien ne refroidit l'enthousiasme de ceux qui restent convaincus que les JO permettront de doper la promotion du sport en Inde.

"C'est une occasion unique", s'enflamme l'avocat Nandan Kamath. "Il faut voir les Olympiades comme un mariage (...) Le travail accompli avant et tout ce qui est fait ensuite solidifie la relation".