Le dernier sondage d'ESPN vient de tomber, et il donne quasiment toujours une expression de la réalité : 77% des votants portent leur choix sur Shai Gilgeous-Alexander pour le trophée de Most Valuable Player de la saison 2024/2025. Un choix sommes toute logique, au vu de la saison du Thunder, indiscutable meilleure équipe NBA et qui pourrait encore aller chercher les 70 victoires.
Être le meilleur joueur de la saison est une chose, être le meilleur joueur du monde en est une autre. Un titre honorifique, car le MVP, en l'occurrence, est remis en jeu chaque saison. Mais un besoin de venir étalonner qui est le patron, le joueur référence de la plus grande ligue du monde. Et aucun doute, il s'appelle Nikola Jokić.
Le pivot serbe va terminer sa 10ème saison NBA, et il s'agit de sa meilleure. Par les chiffres bruts d'abord. 29.7 points, 12.8 rebonds, 10.2 passes et 1.8 interception. Des chiffres qui donnent le vertige, mais encore plus quand on se rend compte que le Serbe est dans le Top 3 de la saison de ces catégories statistiques cette saison. C'est tout simplement historique.
Mais il y a les chiffres, et il y a ce qu'on en fait. Car au-delà des stats déjà impressionnantes, il y a une impression, celle d'une domination sans partage, le tout avec une facilité déconcertante. Presque sans chercher à dominer, le Serbe fait la pluie et le beau temps. Et fait pleuvoir les records sans avoir l'air d'y toucher.
Cette saison, il est devenu le 4ème joueur de l'histoire à accumuler au moins quatre triples doubles avec au moins 30 points. Le joueur le plus rapide de l'histoire à atteindre les 16 000 points, 8000 rebonds et 5000 passes. Encore un triple double et il aura dépassé Wilt Chamberlain pour le plus grand nombre en une saison pour un pivot. Mais surtout, le premier joueur à réussir un match avec au moins 30 points, 20 passes et 20 rebonds, début mars contre Phoenix. Légendaire.
Sa réaction à cet exploit ? "Je dis toujours ça, mais je pense que j’y penserai quand ma carrière sera terminée. Sur mon canapé en retraite, je me dirai que j’ai fait un très bon match ce jour-là, que j’ai laissé ma trace. Mais là, pour l’instant, je me dis qu’on a un back-to-back qui arrive et je pense surtout à comment je vais pouvoir me reposer et bien récupérer avant ça (rire)."
Que répondre à autant de bonhomie ? Job is done. Le plus important était la victoire, et ce jour-là, elle était au bout. Ce qui n'a pas été le cas lors du thriller contre les Wolves. Un match encore légendaire, une double prolongation, et au bout, un record en carrière, le troisième triple double de l'histoire avec au moins 60 points marqués (61 points, 10 rebonds, 10 passes). Mais une défaite de justesse, de quoi gâcher ce qui est tout simplement son record au scoring en carrière.
Une défaite anodine ? Pas pour le pivot serbe, qui déclarait notamment voilà quelques semaines que "Je pense que ce que tu montres en saison régulière, c’est ce que tu es en playoffs. Tu ne peux pas simplement appuyer sur un bouton et changer soudainement". Et depuis bientôt dix ans, il s'attache à montrer qu'en saison régulière ou en playoffs, il donne tout.

Depuis cinq ans, c'est une démonstration. Alors, la question est toujours la même : si l'on considère que depuis cinq ans, Nikola Jokić est le meilleur joueur du monde, pourquoi pas cinq trophées de MVP ? Pourquoi "seulement" trois ? La saison 2022/2023 a commencé avec une vaste campagne pour expliquer que si le Serbe prenait trois MVP d'affilée, il serait au niveau des trois seuls joueurs à avoir jamais réalisé cette performance : Bill Russell, Wilt Chamberlain et Larry Bird. Trois légendes. Pourquoi ne pas considérer Jokić comme une légende, du coup ?
La déclaration de son coach Mike Malone nous revient alors en tête concernant le trophée de MVP cette saison. "si vous ne saviez pas que Nikola a déjà remporté trois MVP, et qu'on vous montrait les stats de deux joueurs anonymes sur le papier, celui qui fait un triple-double de moyenne et qui est top 3 dans les trois principales catégories statistiques… il est le MVP 10 fois sur 10". La fameuse lassitude des votants, une excuse majeure pour élire qui on a envie MVP en fonction de critères qui changent constamment. Ou comment éviter de voir un seul joueur phagocyter toutes les récompenses, car la NBA devient toujours plus comme le monde des Bisounours : il faut que le plus de monde possible soit récompensé.
C'est déjà le joueur non américain avec le plus de trophées de MVP en carrière. Seuls cinq joueurs en ont gagné plus : Kareem Abdul-Jabbar, Bill Russell, Michael Jordan, Wilt Chamberlain et LeBron James. Mais voilà, il ne compte qu'un titre NBA, raflé en 2023. Et l'on évolue dans une époque où la bague compte plus que le reste. Il n'y a donc quasiment plus de légendes en NBA, puisque voilà six saisons que le champion est différent.
Bien sûr, on forcit le trait, mais dans une époque où les joueurs veulent toujours plus d'attention, de gloire, de trophées quels qu'ils soient, le Serbe, lui, se contente de jouer au basket. Et quand on lui demande s'il a ses chances pour le MVP cette saison, la réponse est claire : "Je pense que je joue le meilleur basket de ma vie, donc si cela suffit tant mieux. Sinon, Shai le mérite. Il est vraiment incroyable."
Simple mais efficace. Mais malgré tous ses exploits, Jokić n'a pas cette hype. Shai Gilgeous-Alexander est le meilleur marqueur de la saison, aux commandes de la meilleure équipe de la saison. Et surtout, OKC est une "darling", parce qu'il s'agit d'une équipe reconstruite des cendres du duo Russell Westbrook - Paul George et qui est favorite pour le titre en seulement six ans. Le genre d'histoire que la NBA adore. Et de toute façon, il ne sera jamais question de dire que "SGA" ne mérite pas le titre de MVP.
Mais au point où en est la carrière de Nikola Jokić, la question se pose maintenant de sa place dans les rankings all-time. Car incontestablement, il est déjà un des 20 meilleurs joueurs de l'histoire. Tant par la domination, que par les chiffres, que par l'aura et les portes qu'il a ouvertes en révolutionnant son poste. Car l'expression "Point Center", si elle existait déjà auparavant, lui colle à la peau.

Le poste de pivot a changé ces dernières années en NBA. Avant, on voulait une ancre défensive et / ou un malabar qui ne bougeait pas de la peinture. Dissuasion défensive, arme offensive. Mais dans une NBA toujours plus tournée vers le tir à trois points, chaque joueur doit apporter son écot en attaque. Et un pivot avec un des meilleurs QI Basket de l'Histoire est forcément au centre du système. Tout le monde voudrait avoir un joueur comme Jokić dans son équipe, parce qu'il est unique.
Alors les équipes essayent de rivaliser. Domantas Sabonis à Sacramento, Alperen Sengün à Houston, les pivots européens ont la côte et sont usités dans ce rôle de Point Center. De quoi déjà laisser une trace unique dans l'histoire NBA. Mais revenons à ce Top 20. Est-il dangereux de matérialiser la présence du Serbe parmi les 20 plus grands de l'histoire sans se faire taxer de "culture de l'instant" ? Après réflexion, sans trembler, il peut être placé entre 15 et 20 sans l'ombre d'un doute.
Par les trophées avec 3 MVP. Par les performances historiques décrites en long et en large ci-dessus. Par l'importance qu'il a, puisqu'il est indiscutablement le meilleur joueur de la décennie en cours. Mais surtout par la portée qu'il a amené au basket international. Depuis 2019, c'est un joueur international qui a remporté le MVP, et il en a raflé la moitié.
Avec Giánnis Antetokoúnmpo, ils ont contribué à la domination des joueurs non-américains dans un des sports les plus américains du monde. La trace laissée est déjà énorme, et l'on peut supposer qu'il va encore accroître son aura pendant au moins 5 ans de plus. Maintenant, si on ne compte que le nombre de bagues, ils ne seront guère nombreux à prétendre au Top 10 all time. Il faut regarder le tableau dans son ensemble, et sur ce point-là, pas de doute, Nikola Jokić est un artiste. Le meilleur joueur du monde.
