C'est l'une des images connues de la décennie 2010. De retour à un haut niveau après sa grave blessure, Derrick Rose rentrait un des shoots les plus marquants de sa carrière. Un buzzer beater à trois points qui permettait aux Chicago Bulls de s'imposer 99-96 et de mener 2-1 en demi-finale de conférence Est contre les Cleveland Cavaliers. Le dernier grand moment en date de la franchise ?
Rien que le fait que les Bulls aient perdu les trois matchs suivants - et donc la série - valident cette hypothèse. En fin de saison, cela fera dix ans que Chicago n'a plus gagné de série de playoffs. Car pour en gagner, encore faut-il y aller, et en neuf saisons, on ne compte que deux qualifications en postseason du côté de Windy City (pour deux sorties au premier tour, est-il besoin de le préciser).
Et cette dixième saison ne devrait pas déroger à la règle. Chicago est actuellement dixième de la Conférence Est, avec 27 victoires pour 35 défaites. La place au play-in est quasiment acquise, mais il est pratiquement certain que les Bulls ne verront pas le Top 6. En gagnant deux matchs, ils pourraient néanmoins aller en playoffs, mais quelle chance aurait cette équipe dans une série au meilleur des sept matchs contre les Knicks, les Cavs ou les Celtics ?
Une rengaine lancinante dans une ville qui est pourtant la troisième plus peuplée des USA, et donc un des plus gros marchés de la NBA. Selon Forbes, les Bulls sont actuellement valorisés autour de 5 milliards de dollars, et sixième franchise à la valeur théorique la plus élevée ! Quand aux revenus... rien qu'en 2024, Chicago a généré pas moins de 414 millions de dollars, se plaçant en 7ème position de ce classement parmi les équipes NBA (Source : Statista).
Comment cela est-il possible malgré des résultats aussi déplorables ? Bien sûr, les Bulls restent une des franchises les plus mondialement connues de par les six titres raflés dans les années 90, sous la férule d'un certain Michael Jordan. Une période légendaire de la NBA, qui a donné aux Bulls le grade de franchise historique, et qui a bien évidemment créé une large communauté de fans à travers le monde.
Beaucoup de franchises aimeraient avoir six titres sur leur armoire à trophées. En fait, seuls les Celtics et les Lakers en ont plus. Mais les chiffres sont cruels pour les fans des Bulls : 5 séries de playoffs gagnées depuis 1998. Dont deux sur la seule campagne 2011, celle du titre de MVP de Derrick Rose, conclue en finale de conférence contre les Heatles, sans nul doute la meilleure saison des Bulls au XXIe siècle.
Mais depuis dix ans... on cherche la direction donnée à la franchise. Quand, en 2016, le management envoyait D-Rose puis Joakim Noah direction New York, il effaçait les derniers vestiges de l'équipe finaliste de conférence 5 ans plus tôt. Et l'on se disait alors que c'était le début d'une nouvelle ère, pour ramener une franchise historique parmi les favoris.
Ça, c'était en théorie. En pratique, 9 saisons à naviguer entre la 6e et la 13e place. Pourquoi ? Il faut d'abord regarder du côté de la draft. Et le bilan n'est pas rose. Ventre mou, cela veut dire peu de picks dans le Top 10. Et quand cela a été le cas, les choix ont été douteux. Patrick Williams, 4e en 2020, étant l'exemple le plus marquant. Sur les 10 joueurs draftés entre 2016 et 2020 - qui devraient donc constituer l'ossature de l'équipe actuelle dans un monde parfait - seuls Williams et Coby White sont encore dans le roster.
Le choix de tout baser sur la draft n'a jamais été réellement fait par le management. Ce qui est d'une certaine façon compréhensible. Puisque Chicago est un gros marché, construire une équipe via la free agency semblait logique, la franchise pouvant débloquer une puissance financière suffisante pour ramener des gros noms. Problème : dans une NBA toujours plus concurrentielle, quelle star irait jouer dans une équipe moyenne ? La quadrature du cercle.
Ainsi, les Bulls ont signé à la free agency 2021 DeMar DeRozan. Et en regardant un peu en arrière, on peut se poser une question bien triste : ce dernier ne serait-il pas le free agent le plus important signé par Chicago au XXIe siècle, voire même dans toute son histoire ? On a envie de répondre oui, et cette seule réponse définit sans nul doute les dix dernières années de la franchise. Hormis ses deux buzzer beaters d'affilée, que retenir du passage de l'ancien Raptor ?
Désormais, DeRozan est parti, tout comme Zach LaVine. L'équipe est articulée autour d'un trio Coby White - Nikola Vučević - Josh Giddey. Cela ne fait clairement pas rêver, même si l'Australien a clairement progressé dernièrement et que le pivot monténégrin reste une valeur sûre en attaque. Mais avec le 19e offensive rating, le 25e defensive rating et donc - en toute logique - le 22e net rating, qu'attendre d'une équipe sans leader, sans objectif, et sans âme ?
Problème, c'est un discours connu dans l'Illinois. Depuis l'arrivée de Artūras Karnišovas comme vice-président avant le début de saison 2020-2021, et de Billy Donovan sur le banc, le discours est toujours le même.
"En fin de compte, être une équipe à moins de 50% de victoires n'est pas suffisant. Ce n'est pas suffisant pour cette organisation, ce n'est pas suffisant pour les supporters. Ils méritent mieux. Je vais donc devoir examiner tous les aspects de la question. Comment je peux aider ce groupe à faire mieux. Nous devons aller de l'avant. Je serais ouvert à tout." Artūras Karnišovas, avril 2023.
"Je pense à la victoire. C'est pour cela que je suis ici. Je ne suis pas là pour rester en milieu de classement. La formule qui a été mise en place il y a trois ans, je pensais qu'elle fonctionnait jusqu'à ce qu'il y ait quelques blessures. Nous allons devoir trouver des réponses pendant l'intersaison. Il est évident que les résultats ne sont pas à la hauteur de nos espérances. Je comprends parfaitement. Et c'est à moi de trouver la solution". Artūras Karnišovas, avril 2024.
"Pour ce qui est de l'avenir, je pense qu'il existe différentes structures permettant de gagner un championnat. Il y a deux ou trois joueurs vedettes et ensuite beaucoup de joueurs de rôle, ou vous pouvez construire avec neuf, dix très bons joueurs. Et je pense qu'aujourd'hui, nous avons tendance à avoir beaucoup de bons et solides joueurs - neuf, dix qui peuvent tenir toute une saison, parce qu'il y aura toujours des blessures. Je pense que de plus en plus d'équipes font cela". Artūras Karnišovas, février 2025.

Avec un discours latent - et finalement à l'image du niveau de l'équipe - on pourrait croire que les fans ont quitté le bateau. Que nenni : la saison passée, les Chicago Bulls possédaient la meilleure audience moyenne de la NBA, avec 20.625 spectateurs par rencontre ! Une fidélité clairement pas récompensée, mais si les fans veulent parfois croire en des lendemains qui chantent, comment, avec de tels discours, y croire ?
Pour envoyer un signe fort, il faudrait une grosse recrue cet été. Mais la liste des free agents disponibles cet été n'a clairement rien d'aguicheuse. Et il va sans doute falloir attendre 2026 pour voir un début de changement, puisque Vučević, Kevin Huerter, Zach Collins, Coby White, Ayo Dosunmu, voire Lonzo Ball (team option) pourraient prendre la tangente. Il n'y aura que deux joueurs sous contrat. L'occasion de tout nettoyer en profondeur et enfin reconstruire ?
Les derniers champions NBA sont des équipes maturées depuis de longues années, soit construites autour d'un joueur générationnel (Nikola Jokić, Giánnis Antetokoúnmpo, Steph Curry...), soit pas à pas en assemblant de façon cohérente les joueurs de qualité (Celtics 2024), soit en prenant un énorme risque pour magnifier un collectif au bord de la réussite (Raptors 2019). Les Lakers 2020 sont l'exception qui confirme la règle, mais construits autour de LeBron James, un des trois meilleurs joueurs de l'histoire (mais c'est un autre sujet).
Quatre scénarios et les Bulls ne sont dans aucun d'entre eux actuellement. Choisir de ne pas choisir, c'est l'assurance de ne pas aggraver la situation. Une approche conservatrice totalement décalée pour un gros marché. Chicago a deux first picks (le sien et celui de Portland, protégé 1-14) : l'occasion de monter un package pour aller chercher une star et enfin trouver une réelle direction ? Les fans voudraient sans doute y croire, mais après bientôt dix ans sans coup d'éclat, l'espoir doit probablement s'amenuiser jour après jour...
