Rappel des faits : Thomas Heurtel a joué à Barcelone de 2017 à 2021, date à laquelle il a souhaité rejoindre le Real Madrid. Au vu de l'antagonisme entre les deux géants espagnols, qui n'existe pas qu'en foot, le Barça a refusé et mis à l'écart le meneur français avant qu'un accord ne soit trouvé pour une rupture de contrat. Après un passage par l'ASVEL, Heurtel finira par rejoindre le Real à l'intersaison suivante.
Quatre ans plus tard, Barcelone, en difficulté en Euroleague, vient de libérer Raul Neto et a voulu raviver la flamme avec son ancien meneur. Après tout, avant cette fin en eau de boudin, le passage d'Heurtel en Catalogne n'avait pas été un échec, même si les Blaugrana avaient fini par regagner la Liga ACB... après son départ. Mais le Français est un meneur d'expérience et pouvait jouer un rôle pour relancer la saison des Catalans.
Heurtel, après un passage controversé en Russie et une pige en Chine, était ravi de retrouver le plus haut niveau européen. Pour preuve, un accord a été rapidement trouvé et le Français a sauté dans l'avion pour aller passer sa visite médicale, accompagné de toute sa famille. Dès son arrivée, il a été interviewé et a manifesté sa joie de revenir dans son ancien club.
"J'ai été surpris (par l'appel du Barça), oui. Mon agent leur a parlé et je pense que c'est une bonne opportunité, tant pour le club que pour moi. Je suis très heureux d'être de retour ici. Je suis plus que préparé, plus que motivé. Impatient de commencer. Je suis tout, le basket est ma passion. Ils traversent une période un peu difficile, mais nous allons essayer de la surmonter".
Sauf qu'au moment même que cette interview était donnée, la rumeur commençait déjà à courir et elle n'a pas tardé à éclater : le Barça avait interrompu le processus de recrutement. Pourquoi ? Tout simplement parce que ses fans, eux, n'ont pas oublié la tentative de passage à l'ennemi quatre ans en arrière et ont manifesté leur mécontentement.
Ce qui pose quand même beaucoup de questions. La direction du Barça pensait-elle vraiment que ce transfert allait pouvoir se faire sans heurts ? Autrement dit : la direction du Barça connait-elle ses supporters ? C'est quand même la moindre des choses dans un club sportif réputé comme vivant grâce à ses socios, avec pour slogan "Més que un club". Plus qu'un club, une famille, dont les supporters sont les enfants.
Le problème, c'est que ce genre de cas est désormais monnaie courante dans le sport moderne. Les supporters payent, donc ils veulent avoir le droit de choisir. C'est entendable et c'est même logique : quel club pourrait survivre dans un stade vide ? Mais dans l'époque moderne, le plus important est de faire parler.
L'exemple le plus frappant dans les temps récents nous vient de France. Il y a peu, Pernod-Ricard, fabriquant de produits et liqueurs alcoolisés, et qui a notamment sur sa boisson phare littéralement écrit "Pastis de Marseille" annonçait un partenariat avec... le Paris Saint-Germain. Comment, dans une multinationale au chiffre d'affaires pharaonique, personne tout du long du processus n'a pu se dire que c'était une idée absolument affreuse au vu de la rivalité Marseille - Paris sur le plan footballistique ?
Bien évidemment, sous la pression des fans, de la population, des politiques, ce partenariat a été abandonné. Mais il n'aurait jamais dû exister. Et c'est bien là le problème. Pour en revenir au cas Heurtel, la résultante est la même. Sportivement, c'est une bonne affaire, un meneur expérimenté de niveau international qui connaît la maison. Économiquement aussi, puisqu'après une pige lucrative en Chine, le Français n'avait probablement pas des exigences élevées.
Les dirigeants ont donc écarté le facteur humain, le grand drame du sport moderne. Ils l'ont sans doute fait en connaissant les conséquences possibles. Même si ils étaient allés au bout de leur idée, impossible de ne pas imaginer le concert de huées pour Heurtel à chaque match. Et donc une ambiance délétère dans une saison en passe d'être ratée, tant sur le plan national (8e en Liga ACB) qu'européen.
Au final, tout le monde est perdant. Heurtel n'a toujours pas de club (et selon ses propos en conférence de presse ce soir, il va prendre une voiture et rentrer chez lui, le genre de déclarations qui pourrait faire craindre une retraite). Le Barça s'est donné en spectacle, et n'a toujours pas de meneur. L'image du basket n'en sort pas grandie, puisqu'il apparait que ce sport est comme tous les autres : géré par des dirigeants incohérents.
Changer d'avis en plein milieu, c'est reconnaître que l'on a fait une erreur. Mais quand on gère un grand club, l'erreur n'est pas admissible, surtout quand on sait dès le départ qu'une décision va provoquer un tollé. Le parallèle avec les clubs qui ont rejoint puis quitté la Super League est criant ici. De plus en plus, les supporters influent sur les décisions des clubs, et si la carrière d'Heurtel montre qu'il n'est pas blanc comme neige, comme il le dit lui-même, "c'est un très gros manque de respect." Pas des supporters, mais des dirigeants.