Au moment d'aborder ce British Open à Portrush, sur les terres de Rory McIlroy, une question concernait le numéro 1 mondial Scottie Scheffler : avait-il le jeu pour briller sur les fameux links britanniques ? Avant le 1er tour, l'Américain avait certifié qu'il aimait la difficulté et que les parcours en bord de mer faisaient ressortir les qualités de son jeu. Disons que, pour manier l'euphémisme, il se débrouille plutôt pas mal.
Déjà vainqueur du PGA Championship cette année, Scheffler se connaît parfaitement et quand il n'a pas envie de ménager le suspense, il est sans rival. Une sorte de Marc Márquez sans Ducati mais avec une panoplie de fers et de bois qu'il manie à la perfection.
Évidemment, les fans rêvaient de voir McIlroy triompher, 6 ans après s'être noyé devant son public, incapable de passer le cut. Si Rors a réalisé un grand tournoi, achevé à la 7e place (-10 total), il n'a rien pu faire face à la maestria du Texan d'adoption. Bien placé jeudi soir avec un 68, en tête vendredi après avoir validé une carte de 64 (-7 sous le par !), il a accentué son avance lors du moving day (67) avant de signer un dimanche époustouflant (68), toujours à l'attaque et d'une rare justesse, à l'exception de son double bogey au 8 qui ne l'a même pas ébranlé.
Jusqu'à ce petit trou d'air, son tournoi était tout simplement exceptionnel : seulement 3 bogeys enregistrés (2 au 1er tour, un au 2e) contre 13 birdies. Samedi, il n'a commis aucun bogey, pour un eagle et deux birdies. Et dimanche, il a empilé 4 birdies sur l'aller, le 4e juste après ce fameux double bogey qui a fermé la porte à une éventuelle décompression sur le retour, conclu avec 8 par et un birdie au 12.
Ce rôle de "trouble-fête" comme il s'est surnommé lors de sa conférence de presse post-sacre s'est probablement forgé jeudi sous la grisaille et dans le vent. Alors qu'il avait enregistré son deuxième bogey en 3 trous (au 9 et au 11), Scheffler a compilé 4 par avant de planter un back-to-back de birdies au 16 et au 17. Avoir fini la journée à -3 a placé l'Américain en position de force. Résultat, il a empilé 5 birdies lors des 10 premiers trous vendredi, le premier dès le par 4 du 1. Son approche au 5 a tutoyé le génie, avec une balle qui s'est arrêtée net pour offrir un birdie quasiment donné. Un nouveau back-to-back au 16 et au 17 l'a mis en tête. Définitivement.
Le reste du champ l'a d'ailleurs vite compris et après l'enchaînement eagle au 8-birdie au 9 sur l'aller du 3e tour, la Claret Jug était déjà à lui. Car quand il est en tête au matin du 4e tour, les bookmakers tirent la gueule : Scheffler est sur une série de 10 victoires consécutives dans une telle configuration, avec un 4/4 en Majeur. Il en reste encore 27 pour égaler Tiger Woods mais il peut déjà s'installer à la droite du père aux 15 Grands Chelems. Son héritier a 20 ans de moins et, s'il ne se perd pas comme lui, on peut déjà penser qu'il est en mesure de se rapprocher de lui très rapidement tant la voracité du natif du New Jersey est sans faille, à l'image de son jeu.
Certes, il ne dégage pas le même charisme que McIlroy né de ses victoires mais aussi de ses échecs ou que Bryson deChambeau que l'on adore détester. Mais lui emporte l'adhésion par son jeu millimétré, ce menton carré à faire pâlir n'importe quel boxeur, cette sérénité sous la pression. Deux Majeurs la même année, cela classe un golfeur et il ne lui manque plus que l'US Open pour avoir chaque Grand Chelem sur sa cheminée. Une performance qu'il pourrait réaliser en seulement 4 ans depuis son premier succès au Masters d'Augusta en 2022. Ce serait un an de plus que le Tigre mais le simple fait de les associer donne une idée assez claire de l'empreinte qu'il pourrait laisser sur le golf.