Richard Gasquet a fait le nécessaire durant les qualifications du Masters 1000 de Madrid. Un exercice jamais évident, surtout pour un joueur qui a été Top 10, mais ses deux rendez-vous face à Stefano Napolitano puis Duje Ajdukovic ont été parfaitement négociés par le Biterrois. Pour sa 9ᵉ apparition en carrière à la Caja Magica, il verra le tableau principal.
Et heureusement, car il aurait été dommage qu'un tel évènement prenne place dans des qualifications, où sur un tournoi du circuit Challenger, qui sont un nouveau terrain de jeu pour "Richie". Car ce premier tour contre Lorenzo Sonego ne sera pas n'importe quel match, ce sera le 1000ᵉ de la carrière du Tricolore sur le circuit ATP, plus de 23 ans après le premier.
C'est début 2001 que Richard Gasquet a entamé sa carrière et en 2002 qu'il a signé un premier coup d'éclat, lors du Masters 1000 – à l'époque ATP Tennis Masters Series – de Monte-Carlo. À 15 ans, il tape Franco Squillari, ancien n°11 mondial et spécialiste de la terre battue, 7-6 (5), 3-6, 7-5, et outre le fait de devenir le plus jeune vainqueur d'un match dans cette catégorie de tournois, il confirme alors son potentiel détecté très jeune…
... et même trop jeune. Tout le monde connaît l'histoire, le Biterrois a fait la couverture de Tennis Magazine à 9 ans, admettant à posteriori que cela l'avait largement desservi. Qui aurait pu prédire ? Tout le monde en réalité. Quand on pense à ce premier match et que l'on met sa carrière en avance rapide pour les 998 suivants, comment ne pas avoir des regrets infinis ?
Bien évidemment, il n'est pas question de dévaloriser la carrière de "Richie", un des meilleurs joueurs français – et pas que – du XXIe siècle. Mais en arrivant à 1000 matchs sur le circuit principal – et une poignée de plus à d'autres niveaux – c'est fatalement l'heure du bilan, et l'on peut regretter 1- qu'il ait évolué dans l'ère du Big Three, et 2- qu'il n'ait pas saisi les quelques occasions d'engranger un titre majeur.
Trois demi-finales de Grand Chelem perdues contre – sans surprise – chacune des trois légendes, 3 finales de Masters 1000 où il a été dominé deux fois par Roger Federer et une par Novak Djokovic, mais heureusement quelques succès, comme ses 15 titres ATP en carrière, et bien évidemment sa Coupe Davis enfin obtenue en 2017, durant laquelle il sera allé chercher le point du double avec Pierre-Hugues Herbert, un point qui aura pesé lourd à l'heure du décompte final.
Mais en termes de chiffres, Richard Gasquet, c'est bien plus que ça. ll va devenir le 18ᵉ joueur de l'histoire à atteindre les 1000 matchs sur le circuit ATP, mais surtout le premier Français à réaliser cette performance. Il est aussi le Tricolore avec le plus grand nombre de victoires sur le circuit principal, puisque s'il venait à renverser son rival transalpin, il signerait un 605ᵉ succès. Sans compter sa série de 956 semaines d'affilée dans le Top 100 qui s'est interrompue en début d'année 2024. Qui fait mieux ? Essentiellement des légendes.
Sauf que bien évidemment, quand on fait le ratio attentes/carrière, on sent poindre la déception. Sa carrière était pourtant réglée comme du papier à musique, premier exploit avec une victoire sur Roger Federer à Monte-Carlo à 18 ans, premier titre ATP au même âge, première demi-finale de Grand Chelem à 20 ans (Wimbledon 2007) assortie d'une première entrée dans le Top 10 et d'une première apparition aux Masters. La mise à feu était parfaitement assurée.
Mais la principale tâche sur sa carrière, c'est bien entendu son contrôle positif à la cocaïne en 2009. Une absorption qui sera reconnue "accidentelle" au final, mais rien ne peut effacer cela. Car il va mettre du temps, après une suspension d'environ six mois purgée, à retrouver le niveau qui était le sien, celui d'un Top 10, au moment où il devait gravir les dernières marches vers le succès et véritablement devenir un candidat réel à un succès en Grand Chelem.
Ce n'est qu'en 2012 qu'il reviendra dans le Top 10 pour signer de nouvelles performances marquantes, mais déjà, on sent que la chance semble être passée. Et les saisons suivantes le prouveront. Dans une période où les Grands Chelems lâchés par le Big Three sont rares, quelques outsiders tireront les marrons du feu, mais aucun Français, et pas Gasquet, en raison de son bien piètre bilan contre les meilleurs joueurs du monde.
Richard Gasquet, c'est tout simplement 3 victoires pour 53 défaites contre les membres du Big Three, dont aucune sur son grand rival des catégories de jeunes, un certain Rafael Nadal, qui a involontairement fait du tort à la carrière du Biterrois. Car ce dernier dominait l'Espagnol jusqu'à l'adolescence, notamment lors d'un succès resté célèbre aux Petits As – championnat du monde officieux des jeunes pousses du tennis organisé en France, à Tarbes – lors de la victoire de "Richie" en 1999. Autre siècle, autres mœurs, car personne ne comprenait comment "Rafa" pouvait avoir un tel ascendant sur son rival tricolore.
Et face aux autres cadors du siècle, vainqueurs de Grand Chelem ou solides membres du Top 10, le bilan reste également négatif, ainsi que face à ses rivaux sur le plan national – excepté Gilles Simon. La voilà la véritable lacune de Gasquet : il a déjà remporté de grandes victoires – celle sur Stan Wawrinka à Wimbledon 2015 reste un exemple – mais jamais, il n'a enchaîné les exploits – seulement deux instances de victoires consécutives sur des Top 10 en carrière – les deux fois en Masters 1000, et pour ne pas en atteindre la finale.
À l'aube de ce 1000ᵉ match absolument symbolique, que reste-t-il de la carrière de Gasquet ? Il est malgré lui le symbole de cette génération des nouveaux "Mousquetaires", ces joueurs prometteurs très jeunes, mais qui ont bloqué sur les dernières marches vers le succès, les plus difficiles. L'émerveillement qu'il avait pu provoquer en sortant Roger Federer, alors indiscutable n°1 mondial, à Monte-Carlo en 2005, a laissé la place à un sentiment de frustration parfois mêlé à de l'espoir et de la résignation.
Désormais, il est aux portes de la retraite, et il en est conscient, comme il déclarait récemment à Dicodusport. "Là, si Murray, Wawrinka et surtout Nadal arrêtent, ça va me faire mal. Et ça ne va pas tarder, je pense. C’est une question de mois pour à peu près tous ces joueurs. Moi y compris, même si j’essaye de ne pas me poser la question, justement pour être frais dans la tête et ne pas penser à ça tout le temps. J’essaye de jouer sans réfléchir au moment de la fin."
La fin, elle est proche. On le devine en voyant les wildcards attribuées au Français dernièrement, plusieurs tournois souhaitant voir le revers magique de "Richie" une dernière fois au cas où. Ce sera probablement le cas à Roland-Garros, qui pourrait être son 74ᵉ Grand Chelem en carrière – seul Fabrice Santoro a atteint les 70 côté français. Une marque de plus de la longévité du Tricolore.
Alors, un adieu en fin de saison ? Ou alors une petite rallonge jusqu'en février pour dire au revoir chez lui, au tournoi de Montpellier ? Ce serait une belle fin, mais il reste encore la place pour deux ou trois performances de premier choix, quelques "one shot" histoire d'admirer son fameux revers à une main, celui qui a été qualifié de magique, de meilleur du circuit, celui qui a fait lever les foules tant de fois.
Il y aura forcément de la nostalgie quand il tirera sa révérence, mais en attendant, on regardera ce 1000ᵉ match avec la même intention que les autres : voir "Le Petit Mozart" en action tant qu'on le peut encore. Cette marque symbolique va lui permettre de sceller son nom dans l'histoire du tennis. Et c'est on ne peut plus mérité. Il n'y en aura pas 1000 autres, mais beaucoup auront compté, et pour cela, bravo Richard Gasquet.
